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Les Quatre Cents Coups
21 septembre 2007

Tout est pardonné de Mia Hansen-Love

Ce film s’ouvre et se ferme comme un livre avec une très ancienne berceuse irlandaise, aux tonalités étranges. Et il se regarde comme on découvre un poème grave et beau, un poème lu fiévreusement, l’émotion à la gorge. Le thème fait écho à ce magnifique Rois et Reine de Desplechin, film qui aborde comme celui-ci le thème de la filiation ; une très jeune et fragile reine (Pamela) est séparée pendant onze ans d’un père écrivain, perdu dans une mélancolie profonde, que les drogues ne calment pas. Et ses trois rois sont son beau-père, qui la protège comme son enfant, son grand-père complice, et son père imaginaire, Victor. La première partie du film (« 1.1995, Vienne. »)prend toute sa dimension avec la deuxième ; ce père qui sombre dans l’autodestruction, ce qui affaiblit son pouvoir de création, revient à la surface grâce au rêve de revoir sa fille un jour. Mais même ces instants graves et lourds sont balayés du regard avec pudeur par la caméra de Mia Hansen-love ; la mésentente sourde entre le père et la mère est suggérée par le paysage de verdure défilant à toute vitesse, paysage vu du petit train que la famille désunie empreinte le jour de l’anniversaire de Pamela. Ce paysage que l’on n’arrive pas à saisir du regard évoque l’incompréhensible fuite en avant d’un père qui semble ne plus pouvoir aimer. L’intériorité de la mélancolie est un des thèmes centraux du film. Mais dans la première partie la mélancolie rend impuissant, puisque l’écrivain semble de ne plus arriver à écrire. C’est en effet dans la deuxième partie que cette mélancolie nous est révélée comme facteur de créativité et de transmission du désir de créer. On retrouve Pamela, jeune fille frêle qui semble danser lorsqu’elle marche. Mais elle semble intérieurement éteinte. Lorsqu’elle entend à nouveau parler de son père et que la question de le revoir se pose, c’est avec retenu et anxiété qu’elle l’aborde. Elle finit par lui rendre visite, et la ballade au Luxembourg qui s’ensuit, qui installe tant d’émotion et de joie contenues entre le père et la fille, semble faire intérieurement rayonner la jeune fille, dont le regard noisette échappe, tant l’intensité de ce qu’elle vit le fait vibrer. Et le père se remet alors à écrire, avec ferveur. Ce passage qui suggère que les deux personnages ont trouvé une inspiration chez l’autre, me rappelle cette phrase de Proust : « Le bonheur est salutaire pour le corps, mais c’est le chagrin qui développe les forces de l’âme. » En effet, c’est cette impasse de 11 ans rencontrée par les deux personnages, cette mélancolie dans laquelle on puise une force d’âme pour faire refleurir le désir de créer, qui leur permet à tous deux de renaître et d’être pleinement. La mort brutale de Victor, comme un fil qui se casse, que Mia nous fait deviner par cette sonnerie de téléphone interminable dans la maison de campagne et la chaleur du printemps, permettra à la transmission du désir de créer d’avoir lieu. Cette mort interrompt en effet l’idylle épistolaire pleine d’ambiguïté qu’entretiennent père et fille (ils signent en effet leurs seuls prénoms au bas des lettres et la tendresse de ces dernières évoquent des lettres d’amour d’amants séparés) ; mais dans la main froide et grise de Victor, est trouvée la lettre qu’il allait envoyer à Pamela, quand la mort l’a surpris. A l’intérieur, des poèmes très courts recopiés à la main, comme des Haïkus d’adieu. Pamela en remarque un qu’elle traduit de l’allemand à une amie : « Ce qui décline aujourd’hui, fatigué, Se lèvera demain dans une renaissance Bien des choses restent perdus dans la nuit Prends garde, reste alerte et plein d’entrain ! » Ce poème de Joseph Von Eichendorff donne sa note finale au film, et dévoile une part de ce qu’il veut transmettre ; l’idée que la mélancolie, les humeurs sombres et la fatigue d’être soi ne doivent pas être à tout prix évitées, mais demandent au contraire à être écoutées, car elles sont le terreau de la création et de la renaissance du désir. Il faut cependant tenter à chaque instant de garder ce désir intact à l’intérieur de soi, pour savoir mener dans la lumière des beautés qui semblent sombrer.

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